
Un premier corte`ge interminable sur la route 10, s’e´tire au loin dans la toundra canadienne, sous un magnifique soleil couchant. (Crédit photo : Nicolas Servel)
Steve Kokelj souligne l’importance de construire une capacité nordique.
La nouvelle route reliant Inuvik à Tuktoyaktuk est en quelque sorte la pierre de touche des futures routes arctiques, un laboratoire scruté à la loupe par les instances universitaires, gouvernementales et privées qui s’intéressent à l’impact de la fonte du pergélisol sur les infrastructures.
Les 137 kilomètres de route reliant Inuvik à Tuktoyaktuk sont construits sur du pergélisol continu dont le dégel relié au réchauffement climatique risque de perturber l’utilisation. Les techniques — géotextile, couche de gravier, remblai, etc. — utilisées pour contrer ce dégel sont d’un grand intérêt pratique et scientifique.
Elles servent de banc d’essai pour les futures routes dans le Nord. Un modèle? « Oui », répond le professeur Antoni Lewkowicz, du département de géographie de l’Université d’Ottawa, qui a survolé le lieu en hélicoptère. Les leçons apprises ici, avance-t-il, pourront être transposées dans le projet de port et de route à Grace Bay si celui-ci se concrétise. Il s’agit d’un projet qui relierait l’océan Arctique aux ressources naturelles du Nunavut, près de la frontière des Territoires du Nord-Ouest. Des ressources pour l’instant trop coûteuses à exploiter.
Réseautage
De nombreux systèmes de surveillance ont été installés tout au long de la route, dans certains cas avant même sa construction, pour informer son évolution et dans d’autres cas pour prévenir les dommages. Le scientifique Steve Kokelj, de la Commission géologique des Territoires du Nord-Ouest, est impliqué dans quelques-uns de ces projets. L’un d’entre eux, qui continuera jusqu’en 2020, porte sur la réhabilitation des lieux d’emprunts de matières granulaires le long de la route, dont cinq millions de mètres cubes ont jusqu’ici été extraits. Et ça va continuer.
Le projet inclut l’utilisation de drones pour évaluer l’empreinte écologique et les changements des lieux d’emprunt au fil du temps. La route 10, confirme Steve Kokelj, ne relie pas que deux villes, mais aussi des universités du Manitoba, de l’Ontario et de l’Alberta. Et le maillage est en progrès. « Nous travaillons, dit-il, à mettre sur pied une collaboration avec Horizon 2020, un consortium de chercheurs européens, et l’Institut Alfred Wegener [recherche marine et polaire]. » Deux autres réseaux sont aussi en développement, un avec le Yukon, l’autre avec, notamment, l’Université Laval, Transports Canada et des intervenants du secteur privé.
« C’est un grand défi de mettre en place ces associations, note M. Kokelj, mais nous ne voulons pas perdre cette opportunité. Nous avons ici une plate-forme et il y a de la recherche fondamentale et du travail à faire. » Le chercheur souligne parallèlement la nécessité de construire une capacité nordique, c’est-à-dire une expertise, un savoir-faire local.
Le gravier
« Ce qui fait la qualité de la route 10, affirme le docteur Lewkowicz, ce n’est pas tant l’utilisation du géotextile, mais celle du gravier, en quantité suffisante. » Le gravier est un bon conducteur de chaleur et augmente la température d’un terrain, note-t-il; la recette du succès est d’en mettre une couche suffisamment pour que le terrain en dessous ne dégèle pas. Ensuite, il y a les traverses de ruisseau, le drainage, etc. L’eau aussi conduit la chaleur et est l’ennemie du pergélisol.
« Mais, prévient-il, il y a toujours des surprises, des choses qui n’étaient pas remarquées au moment de la construction. C’est presque impossible de ne pas avoir de problèmes. Il faut qu’ils soient mineurs et gérables. »
Au moment de mettre sous presse, le ministère des Infrastructures des TNO n’a pas répondu à la demande de L’Aquilon concernant le budget dévolu aux problèmes de pergélisol. Une étude commandée par l’Association des communautés des Territoires du Nord-Ouest évalue à 51 M$ les coûts annuels reliés à la fonte du pergélisol. Ce chiffre exclut la route 10.