L’herbe est-elle plus verte par ici ?
Il est vrai que lorsqu’on se compare, on se console. Les sommes d’argent que les candidats à la présidentielle américaine doivent amasser pour sillonner leur pays et séduire l’électorat donnent le tournis.
Mais cela n’empêche que chez nous aussi, nous avons des soucis à ce niveau-là. Malgré toutes les réformes faites pour endiguer le flot d’argent dans nos campagnes, il trouve quand même le moyen d’y couler jusqu’aux urnes.
Les scandales de corruption abondent dans notre histoire. Même le tout premier ministre Sir John A. Macdonald s’est fait prendre la main dans le sac. Pourtant sa photo figure toujours sur notre billet de dix dollars, l’ironie de la chose ne vous échappe certainement pas. Le scandale des commandites et le rapport Gomery, l’affaire Airbus, la Commission Charbonneau, l’enquête Mâchurer, pour ne citer que ceux-là, sont les pointes de l’iceberg des affaires de commandites aux trois paliers de gouvernements. Le plus préoccupant n’est pas tant les activités criminelles de nos politiciens, mais plutôt l’influence excessive des intérêts privés sur le processus démocratique. Notre système de financement des campagnes permet aux gros donateurs d’avoir accès plus facilement aux politiciens et de naviguer dans les mêmes sphères.
Une panacée, la réforme de 2004 ?
Malgré les promesses de la réforme de 2004, les grandes sociétés continuent à exercer un pouvoir incontestable sur nos législatures et nos mairies.
Cette réforme interdit les dons directs des entreprises aux partis politiques, mais les grands dirigeants de ces grosses boites, les lobbyistes et les membres de leurs familles peuvent donner à titre personnel et ainsi obtenir des rencontres en personne avec les membres des cabinets au niveau provincial ou fédéral.
Plusieurs tuyaux sont utilisés pour canaliser les dons aux politiciens à travers le financement des partis politiques, les associations de comtés, les courses au leadeurship des partis, l’investiture des candidats et autres collectes de fonds qui ne disent pas toujours leur nom. La réforme de 2004 n’a pas réduit les sommes d’argent amassées, elle a seulement permis d’améliorer la transparence de la provenance des fonds.
On n’a pas empêché le flot financier de couler, on a seulement apposé des compteurs. Par ailleurs, la divulgation n’est possible qu’après les élections, ce qui rend le processus complètement inutile puisqu’il ne permet pas un vote éclairé.
Suivez l’argent
Pour le moment, il est difficile de corréler les registres des groupes de pression avec les dons aux politiciens, non seulement pendant les campagnes électorales, mais aussi entre les élections. Une base de données des dons politiques établie par le National Post compile les dons, mais le site Internet pour accéder à l’information semble inutilisable.
Les allocations par électeur
À la suite de la réforme de 2004, les partis recevaient 1,75 $ par vote. Mais sept ans plus tard, le gouvernement conservateur a annulé cette disposition de la loi sous prétexte que ce système pourrait amener à un désengagement par rapport aux partis et favoriser excessivement des partis marginaux.
Les dollars de la démocratie
Un système instauré à Seattle dans l’État de Washington en 2017 donne des résultats encourageants. Ce système fonctionne avec des coupons appelés les dollars de la démocratie. Quatre coupons d’une valeur de 25 $ chacun sont envoyés à chaque électeur pour qu’il les distribue au.x candidat.s de son choix. Ce système permet aux électeurs d’avoir le contrôle des allocations publiques et de niveler la compétition. C’est le seul système qui permet à tous les électeurs, peu importe leurs revenus, de participer de manière équitable aux campagnes électorales. Il incite les candidats à frapper à toutes les portes et à parler à tous les électeurs. Plutôt que de perpétuer l’inertie du statuquo, ces dollars permettent de créer et d’amplifier de nouvelles voix.
Plus près de chez nous
Dans un système partisan, les députés sont tiraillés entre les demandes de leurs commettants, leur opinion personnelle et la ligne de parti.
À quoi bon avoir 338 sièges si en fin de compte seuls cinq députés, les chefs des partis, ont une influence ? Les 333 autres (et nous, qui les envoyons à Ottawa) devraient avoir le droit de se faire entendre.
Notre système de gouvernement territorial consensuel et sans partis politiques semble à priori le mettre à l’abri des groupes de pression. Nos candidats sont indépendants et une fois élus, ils doivent s’entendre pour mener à bien le programme législatif et demander des comptes à l’exécutif.
Au niveau fédéral, nous n’aurons jamais un système juste, démocratique et relayant les aspirations de la population à Ottawa si nous ne changeons pas la façon dont nos campagnes sont financées. Il faut repenser le système de fond en comble sinon nous serons encore et toujours réduits à colmater, en vain, les brèches par lesquelles l’argent continue à dominer les politiques qui nous gouvernent.