
Gracieuseté Gouvernement du Canada
Malgré des nouvelles spectaculaires sur le mercure que peut potentiellement dégager la fonte du pergélisol, des scientifiques assurent que les inquiétudes sont prématurées. En effet, les recherches ne font que commencer.
La récente nouvelle que des affluents de la Peel et du Mackenzie contiennent des niveaux records de mercure total et de méthylmercure à cause de la fonte du pergélisol a fait la manchette de plusieurs médias, même hors des Territoires du Nord-Ouest.
La haute teneur en mercure du pergélisol est établie. Mais à quel degré ?
Des chercheurs de l’Université du Colorado ont effectué des prélèvements dans le pergélisol en Alaska. À partir des résultats obtenus, ils ont déduit que le pergélisol de l’hémisphère nord contient environ 56 millions de litres de mercure, soit deux fois plus que dans tout le reste des sols, des océans et de l’atmosphère réunis. Cette étude a été publiée en février dans le Geophysical Research Letters.
Préliminaires
« C’est une première évaluation, souligne Steve Kokelj, un spécialiste ténois du pergélisol, qui a collaboré à l’étude de l’Université de l’Alberta sur les affluents de la Peel et du Mackenzie. Les chiffres seront raffinés avec le temps et on se rendra compte si la quantité de mercure a été surestimée ou sous-estimée. »
Le chercheur à l’emploi du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest rappelle qu’il y a quelques décennies à peine, on ignorait même que le pergélisol allait fondre. À fortiori, on n’avait aucune idée de ce qu’il recelait.
« Des études comme ça, c’est de la nouvelle information, dit-il. Il y a dix ans, on ne pensait même pas à mesurer ça. »
Steve Kokelj souligne aussi qu’il ne faut pas projeter sur l’ensemble de l’Arctique les niveaux élevés de mercure mesurés lors de l’étude de l’Université de l’Alberta.
Les chercheurs, explique-t-il, ont travaillé sur le Plateau Peel parce que c’est un point chaud pour les changements de paysage. Ce plateau contient 40 mètres de glace datant de l’ère glaciaire, et ses pentes peuvent amener beaucoup de sédiments dans les ruisseaux.
« Ça ne va pas arriver dans la rivière Yellowknife », explique Steve Kokelj.
Développement
M. Kokelj est d’avis que la question du mercure dans le pergélisol deviendra un axe de recherche de plus en plus important dans les années à venir.
Lui-même est davantage spécialisé dans les études de l’impact de la fonte du pergélisol sur les infrastructures. Il considère qu’il est important de bâtir des équipes de recherches multidisciplinaires pour étudier tous les aspects du phénomène, comme c’était le cas lors de l’étude de l’Université de l’Alberta aux TNO. Dans les ruisseaux abreuvant la Peel et le Mackenzie, on n’a pas seulement mesuré la quantité de mercure dans les sédiments, mais aussi, entre autres, le mouvement de ces sédiments. « Il faut quelqu’un qui observe comment les sédiments se déposent, comment ils sont enterrés, si le mercure est disponible pour les bactéries. Ce sont des questions importantes à poser. »
Toxicité
Lors de l’étude de l’Université de l’Alberta, le mercure libéré par la fonte du pergélisol ne s’est pas dissout dans l’eau : il est resté attaché aux sédiments, dit Steve Kokelj.
Mais les choses ne s’arrêtent pas là pour autant, explique l’auteure principale de cette étude, la biogéochimiste Kyra St.Pierre.
Les caractéristiques géologiques des sédiments influencent la transformation du mercure – ou non – en méthylmercure, un neurotoxique constituant la forme la plus dangereuse du mercure trouvé dans la nature en quantités mesurables.
Certains types de sédiments favorisent la vie de bactéries qui transforment le mercure en méthylmercure. Ce rôle de la géologie demeure à approfondir.
« Beaucoup de recherches ont été faites récemment dans la communauté des microbiologistes pour voir si la transformation du mercure en méthylmercure est répandue chez les bactéries, ajoute Kyra St.Pierre. On sait de plus en plus quelles bactéries sont capables de cette transformation. C’est encore une question ouverte pour la recherche. »
Le lieu où les sédiments se déposent a également un impact sur la transformation éventuelle du mercure.
« Dans les sédiments des lacs, précise la chercheuse, on peut voir une grande production de méthylmercure, ce qui n’est pas le cas dans les régions côtières, parce que les communautés de bactéries sont différentes dans les deux environnements. »
Inquiet
Steve Kokelj et Kyra St.Pierre ne croient pas que les populations du Nord devraient s’inquiéter de cette augmentation attendue du mercure dans l’environnement. « Il faut plus de preuves, souligne cette dernière. Et je sais que c’est un sujet très politique, parce que les communautés dans le Nord dépendent vraiment des organismes qui sont au sommet de la chaine alimentaire. Et le mercure s’accumule dans les échelons de la chaine. [...] Il ne faut pas paniquer. »