Jalousie immortelle
Apollo J.
Personne ne savait comment cela s’était passé. La sécurité était serrée ; il y avait des gardes partout, à chaque porte et à chaque fenêtre. Les couloirs de pierres étaient envahis de silence, brisé seulement par l’écho d’une respiration lourde. Cette nuit-là, la lune perçait à travers les murailles de verre coloré, illuminant le palais d’aurores boréales. Tous étaient dans leurs chambres, mais aucun ne pouvait dormir, éveillé par un délire quelconque. Il semblait que le palais entier frémissait. Personne n’osait dire un mot.
Le peuple du royaume aussi était étrangement atteint. Le ciel retenait son souffle et les étoiles gisaient figées dans les quelques nuages indociles. C’était comme si la Terre elle-même était gelée dans un bloc de glace transparent. Le vent retenait ses rafales. Toutes les créatures, petites et grandes, étaient dormantes, juste pour cette nuit, en regardant les étoiles. Dans les yeux de quelques oiseaux médusés, les constellations racontaient l’avenir. Un petit cardinal, caché dans les feuilles d’un peuplier, fit tressaillir ses ailes, anxieux. Une seule plume rouge flotta doucement vers le sol, portée par l’air inexistant. Elle atterrit sur la surface immobile d’un étang, et flotta.
Dans le palais, les ombres frissonnaient. Les respirations devenaient de plus en plus fortes, de plus en plus lourdes. Elles se transformèrent en halètements rapides et douloureux, puis en pleurs et en cris. La voix gémit et hurla de douleur.
Au-dessus des nuages, au-delà du ciel, dans l’Olympe, il y avait l’orage qui faisait taire le monde. Les dieux, grands et majestueux, se faisaient petites guerres. La pluie ruinait leur terre comme les larmes qui glissaient sur des joues poudrées de rose.
Les éclairs envoyaient des chocs d’électricité dans la mer, comme les vagues de douleur qui saccagent ses veines. Le tonnerre secouait la nuit comme ses cris secouaient le peuple.
Les gardes, postés à chaque coin, se regardaient nerveusement. Ceux les plus proches de la porte la plus extravagante de la plus grande tour du palais, s’ils tendaient l’oreille, pouvaient entendre des mots d’encouragement. De doux murmures, chuchotant des conseils et du soutien au milieu de la clameur, formaient une mélodie constante. Mais doucement, dans l’Olympe, la pluie s’atténuait. Les éclairs s’arrêtaient. Le tonnerre se taisait. Les dieux se calmaient. Et, pendant que le vent sifflait, les nuages se séparaient et un fin brin de lumière frappait les eaux. Un joli petit cri se lâcha dans les airs quand le soleil se leva, et les hurlements firent place à des petits halètements fatigués, mais heureux.
Dans la pièce la plus extravagante de la plus grande tour du palais, des gouttes de sueur coulaient sur le visage de la reine. La transpiration était salée sur sa langue, mais elle souriait de toutes ses dents. Sa femme de chambre personnelle lui passe un linge mouillé sur le front. La reine soupire de joie quand elle sent la fraicheur. Un autre pleur mignon gémi dans ses bras, et elle baissa la tête. Son nouveau-né, enrobé dans une serviette de velours, suçotait son sein et agrippait sa poitrine avec des petites mains potelées.
L’enfant était rose et adorable, couvert de marques de sang. La femme de chambre le ramassa délicatement et le nettoya avec un chiffon de coton. L’enfant pleurait et se débattait, mais les deux femmes riaient et séchaient leurs larmes. Il était fort et en bonne santé. La reine avait des larmes aux yeux et, une fois que le bambin était de nouveau dans ses bras, elle posa ses lèvres sur le front de son petit miracle. Elle lui donna un baiser tendre et, avec les yeux fixés sur les cieux, elle chuchota un remerciement.
La reine savait que son enfant ne vivrait peut-être pas. Elle connaissait les risques. Elle savait aussi que le risque continuerait aussi longtemps que son enfant fut vivant. L’histoire de la jalousie, sortie de la boite de Pandore, se répète. Toutes les femmes sur Terre connaissent le destin terrible qui attend n’importe qui couche avec le roi du ciel. Sa femme a bien répandu la peur dans le monde, a tué des dizaines pour leurs tromperies et ne s’est jamais arrêtée pour considérer la possibilité que la grande majorité ne voulaient pas dormir avec son mari.
Zeus prend ce qu’il veut sans conséquence, comme toujours. Personne n’est assez puissant pour l’en empêcher. Héra essaye, bien sûr, mais cela fait longtemps qu’elle a appris que sa rage ne nuisait pas du tout au dieu du ciel. Sa rage a bouilli, chauffée par son inhabilité d’arrêter son mari de la tromper, et s’est évaporée en jalousie et en haine. Elle dirigeait sa colère envers chaque femme que Zeus apportait à son lit, puisque ce n’était pas elle.
La reine savait que Héra viendrait pour son enfant. Il était chanceux d’avoir vécu aussi longtemps. Son petit miracle, né de rouge et d’or, aux yeux bleus et blancs comme les éclairs de son père. Son magnifique bébé, qui gazouille dans ses bras. Son bambin mignon, qui danse avec le décès, juste à cause de son existence.
Avec des larmes chaudes qui se balancent sur ses cils et une nuance de regret dans l’esprit, la reine serre son enfant dans ses bras et laisse sa tête retomber sur son oreiller doux. Si elle n’a que quelques moments à passer avec son petit demi-dieu, que ça soit une journée ou une minute, elle en profitera.
Le petit cardinal rouge, perché sur son peuplier à l’extérieur de la fenêtre de la pièce la plus extravagante de la plus grande tour du palais, s’envole. Son plumage vermillon scintille dans le ciel étoilé noir, pivotant entre les arbres et les mauvais présages, pendant qu’il vole de plus en plus haut. Il ne chante pas, ne fait pas de détour ou de distraction. Sa mission est terminée et il suit son parcours.
Il monte dans les nuages, dans l’atmosphère où l’oxygène devient fin, et disparait lentement du monde mortel.
Au-delà du monde mortel, au-dessus de l’air, il y a des légions de temples argentés dégoulinants d’or. Une harmonie se balance langoureusement dans les airs et une senteur de sucre et de cannelle suit le vent. La gloire semble fusionnée avec l’ichor et la noblesse, enchainée dans les cœurs. Le soleil brille chaque heure, chaque jour, pour toujours, et ne laisse jamais place à l’obscurité. Il semble que la négativité n’a jamais même considéré envahir ce paradis.
Dans les arbres d’olive poussant auprès des autels d’Athéna, des hiboux perchés observent avec la tête penchée. Leurs yeux, comme des étincelles d’un feu de joie, analysent tous les passants, des nymphes et des dryades, des naïades et des fées, des dieux et des déesses ; tous des personnages qui sont tous plus beaux les uns que les autres.
Il y a des fleurs, roses et rouges, poussées par Aphrodite et Déméter ensemble, qui s’épanouissent dans chaque coin et qui propagent une délicieuse odeur dans l’air vivifiant. Le ciel est éthéré et le monde est idyllique. Le son des ruissèlements de fontaines forme un rythme doux berçant, assemblant la musique des neuf muses.
Des statues de bronze pur ornent les routes de marbre et les palais de dolomie. Des veines de cipolin traversent le marché, qui est peuplé de créatures les plus élégantes dans le monde existant. Les centaines de petits étals vendent tout, variant des tapisseries et sortilèges jusqu’aux pommes dorées et aux amulettes de protection. Les gens dansent et gambadent ensemble sur une douce mélodie dans les airs. C’est une place splendide, tellement magnifique et somptueuse qu’on dirait un mirage dans la mémoire d’un homme rêvant.
C’est l’Olympe. La demeure des dieux. Un monde si inouï qu’il ne peut pas exister sur la plaine mortelle.
Dans ce paradis, les dieux et les déesses continuent leurs vies infinies. D’un simple coup d’œil, leurs activités sont glorieuses et majestueuses. Par contre, de plus proche, certaines mains tremblent et un fin brin de sueur coule sur quelques fronts. Une nervosité aigüe vrombit dans les cœurs. Le peuple est inquiet, même s’il ne montre aucune faiblesse. Leurs yeux sont fuyants et ils jettent des regards furtifs vers le temple des Olympiens.
C’est le lieu le plus spectaculaire du monde immortel, paré d’or, de diamants et de minerais précieux. Des statues grandioses entourent le temple de marbre argenté, racontant les histoires les plus merveilleuses des douze dirigeants de l’Olympe. Il y a Arès, avec sa lance aiguisée, et Athéna, avec son épée tranchante. Hermès, avec ses sandales ailées et Dionysos, avec des vignes enroulées autour de ses bras. Héphaïstos, un marteau en main, et Poséidon, entouré de vagues. Déméter, qui tient un bouquet de blé, et Aphrodite, avec un regard mi-séduisant, mi-terrifiant. Les dieux jumeaux, Apollon et Artémis, se tiennent l’un à côté de l’autre, les deux tenant des arcs. Et, encadrant l’entrée de bronze, les statues de Zeus et d’Héra sont construites plus hautes que toutes les autres ; le roi et la reine de l’Olympe. Leurs yeux sont sévères, fixés sur ceux et celles qui entrent dans leur salle de trône. C’est un avertissement et un « bienvenu ».
Malgré la beauté éblouissante de l’extérieur, l’intérieur est le contraire. La grande pièce, encerclée de douze trônes pour les Olympiens, est vide et emplie de noirceur ; c’est la seule obscurité dans tout l’Olympe. La musique et la joie de dehors ne franchissent pas le seuil de la porte, et les seuls sons sont quelques respirations fâchées. Il y a seulement quelques heures, la pièce faisait écho de cris et d’acclamations furieuses. Dans le fond de la salle, une seule figure est encore assise sur un trône.
Toutes les créatures errantes dans le monde surnaturel savent qu’ils doivent la laisser seule quand ceci arrive. Ce n’est pas la première fois. Ce ne serait pas la dernière. Ça se passe de cette manière depuis le début des temps. Zeus s’ennuie, il trouve une jolie dame, et Héra se fâche. Comme toujours, Zeus annonce sa nouvelle conquête fièrement au conseil et Héra, qui essayait de rester calme, le ravage.
Comme chaque fois, Zeus l’arrête et l’intimide avec ses éclairs.
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