
À cause du niveau trop élevé de l’eau, la ville de Yellowknife a décidé de fermer en partie l’accès au quai du gouvernement. Des barrières métalliques ont été installées pour délimiter la zone. (Crédit photo : Cécile Antoine-Meyzonnade)
Il a neigé et plu, beaucoup, dans le réseau hydrographique du Grand lac des Esclaves en 2020.
C’est ce qui explique le niveau record atteint, selon une équipe de chercheurs.
Le Grand lac des Esclaves a eu beaucoup d’attention cette année : quelque 25 experts ont cherché à comprendre pourquoi des niveaux d’eau records y ont été observés à l’été et à l’automne 2020. La raison principale ? « Précipitations extrêmement élevées », expliquent dans un rapport détaillé des spécialistes de l’hydrologie du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, d’Environnement et Changement climatique Canada, du programme Global Water Futures de l’Université de la Saskatchewan, de même que du gouvernement de l’Alberta et de BC Hydro.
Les précipitations dans les bassins qui alimentent le Grand lac des Esclaves ont été « les plus abondantes » des 20 dernières années, note dans son rapport le groupe de travail, mis sur pied en septembre 2020 par Environnement et Changement climatique Canada, à la demande du gouvernement des TNO. La région du delta Paix-Athabasca, dans le nord de l’Alberta, a reçu « 200 % plus de précipitations que la normale », entre septembre 2019 et aout 2020. Le bassin Athabasca a aussi reçu un « record de pluie cet été ». Et c’est sans compter le mois d’aout, particulièrement mouillé dans la région même du Grand lac des Esclaves.
« Si on combine la fonte de l’accumulation importante de neige et toute la pluie de l’été, on obtient des niveaux d’eau très élevés dans le réseau hydrographique du Grand lac des Esclaves. Les précipitations étaient anormales toute l’année », dit l’un des experts consultés, Mohamed Elshamy, chercheur scientifique au Global Institute for Water Security de l’Université de Saskatchewan, joint par téléphone à son bureau à Saskatoon. Les registres de pluviométrie ont enregistré des sommets.
Le niveau d’eau du Grand lac des Esclaves n’a ainsi jamais été aussi haut, selon des relevés qui remontent aux années 1930. Dans leur rapport, intitulé Hydrological Analysis for Great Slave Lake 2020, les experts notent un « débit inhabituellement élevé » provenant de la rivière des Esclaves, principal affluent du lac. Tous les tributaires majeurs ont largement dépassé leurs débits habituels, dont le lac Athabasca et sa rivière, les rivières de la Paix, Tazin, Taltson, Lockhart, au Foin, de même que la rivière du Fond du Lac en Saskatchewan. Selon le rapport, environ 65 % de l’eau de la rivière des Esclaves provient du delta des rivières de la Paix et Athabasca et du lac Athabasca. Ce dernier a atteint son deuxième niveau le plus élevé jamais enregistré en 2020.
« Une partie de l’étude consistait à reconstituer l’historique des différentes composantes des apports en eau du Grand lac des Esclaves. On se base sur des observations et sur des modèles », explique lors d’une rencontre virtuelle le chercheur scientifique en hydrologie, Étienne Gaborit, qui travaille à Dorval pour Environnement et Changement climatique Canada. Lui et Mohamed Elshamy font partie de ceux qui ont travaillé sur des modèles.
« On a regardé les apports en eau provenant de la rivière des Esclaves et ceux du bassin direct, c’est-à-dire toute l’eau qui alimente le Grand lac des Esclaves, en excluant celle de cette rivière. Et c’est la première fois qu’il y a un record simultané d’apports d’eau provenant tant du bassin versant direct que du bassin versant en amont du Grand lac qui fournit la rivière des Esclaves. »
Les experts se sont aussi penchés sur le réservoir Williston et le barrage W.A.C. Bennett, en Colombie-Britannique. Le complexe hydroélectrique aurait contribué à retenir de l’eau. « Le niveau d’eau du Grand lac des Esclaves aurait pu être presque 0,5 mètre plus haut sans le barrage W.A.C. Bennett », suggèrent les modèles préliminaires des spécialistes, bien qu’ils reconnaissent que cette donnée puisse être surestimée, n’ayant pas modélisé tout le ruissèlement du système hydrographique. Le réservoir Williston, qui a lui aussi reçu un apport record d’eau depuis 1979, a ainsi retenu une partie de l’eau. Cela a, selon eux, réduit le débit de la rivière de la Paix.
« Le deuxième niveau record d’eau du Grand lac des Esclaves, c’était en 1962, avant la construction du barrage, rappelle le chercheur Mohamed Elshamy. C’était alors complètement naturel. Ce qu’on a vu en 2020, ça incluait une régulation du débit de l’eau par le barrage. Ça a été bénéfique et on aurait eu plus d’extrêmes sans ce dernier. »
« Même si l’apport d’eau diminue significativement, le niveau d’eau du Grand lac des Esclaves ne retournera pas à son normal historique de 156,61 mètres avant longtemps, compte tenu de sa grande capacité de stockage », peut-on lire dans le rapport. Plusieurs variables entrent en jeu et influent sur le niveau de l’eau : le moment et la quantité des précipitations, le volume et la densité de la neige, l’épaisseur de la glace sur les rivières et les lacs, quand la fonte printanière débute et sa vitesse. Les experts écrivent être dans l’impossibilité de faire des prédictions puisque la situation n’a aucun précédent.
Depuis déjà plusieurs années, le climat devient plus variable et extrême. « Avec les changements climatiques, on s’attend à plus d’extrêmes et, ici, tout a commencé par beaucoup plus de précipitations que d’habitude, dit le chercheur Mohamed Elshamy. Ça pourrait être évidemment lié au réchauffement planétaire bien qu’on ne puisse pas établir de lien direct. D’ailleurs, on travaille avec un modèle que j’ai développé pour le fleuve Mackenzie pour examiner ces questions. »
Sans vouloir spéculer, l’expert croit que ce genre d’évènements pourraient être plus fréquents. « On a battu en 2020 le record de 1962. On a attendu quelque 60 ans pour ravoir de tels niveaux d’eau sur le Grand lac des Esclaves. On risque d’attendre moins longtemps la prochaine fois. »